Publiée le 18 avril 2020, sous la présidence de Matthieu Poumarède
Le groupe de recherche sur la copropriété (GRECCO)[1], réunissant des praticiens et des universitaires, a pour objectif de développer une réflexion pérenne sur l’application et l’évolution du droit de la copropriété. Après débats, le GRECCO rédige des propositions destinées à faciliter l’interprétation des textes du droit de la copropriété, à suggérer des pratiques professionnelles et à susciter des modifications législatives et règlementaires. Ces propositions sont largement diffusées dans les revues juridiques et professionnelles afin qu’elles puissent être connues et discutées.
Exposé des motifs de la préconisation du GRECCO n° 9 du 18 avril 2020
Afin de pallier les difficultés de réunion d’une assemblée générale en présentiel (v. préconisation n° 8), il peut être utile de faciliter le recours à la tenue d’une assemblée générale à distance. Néanmoins, ni les possibilités offertes par la loi du 10 juillet 1965 (I) ni celles offertes par l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de covid-19 (II), ne semblent pleinement satisfaisantes, sans pouvoir être totalement écartées. En conséquence, il paraît utile de faciliter la tenue à distance des assemblées générales de copropriété (III).
I. Les possibilités offertes par la loi du 10 juillet 1965
D’ores et déjà, les articles 17-1 A de la loi du 10 juillet 1965 et 13-1 du décret du 17 mars 1967 (rédac décret n° 2019-650 du 27 juin 2019) permettent aux copropriétaires de participer aux assemblées générales par visioconférence, par audioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique.
Néanmoins la mise en œuvre effective de cette possibilité, récente, suppose que l’assemblée générale ait préalablement décidé des moyens et supports techniques permettant aux copropriétaires de participer aux assemblées générales par visioconférence, par audioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique ainsi que des garanties permettant de s’assurer de l’identité de chaque participant. Etant rappelé que cette décision doit être prise sur la base de devis élaborés à cet effet à l’initiative du syndic ou du conseil syndical.
Pour toutes ces raisons, si les textes du droit de la copropriété permettent la tenue à distance d’une assemblée générale, rares sont, pour l’heure, les assemblées générales pouvant se tenir à distance.
II. Les possibilités offertes par l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de covid-19.
Avant de déterminer quelles possibilités sont offertes par l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020, il convient de répondre à une question préalable : cette ordonnance est-elle applicable aux assemblées générales des syndicats de copropriétaires ?
Cette ordonnance vise en son article 1er : « Les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé, et notamment :
1° Les sociétés civiles et commerciales
(…)
10° Les associations et les fondations ».
Bien que les syndicats des copropriétaires ne soient pas expressément visés par l’article 1, ils sont dotés de la personnalité morale par application de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 et l’adverbe “notamment” permet de penser que la liste n’est pas exhaustive, ce qui est confirmé par le Rapport au président de la République qui évoque un « champ d’application personnel vaste ».
Si l’on peut donc admettre son application théorique aux assemblées générales de copropriété, il convient de déterminer si, pratiquement, il est possible de réunir une assemblée générale dans les termes de cette ordonnance pendant la période juridiquement protégée.
Cette ordonnance offre en effet trois possibilités au syndic selon les circonstances. Toutes visent à permettre l’adoption par l’assemblée générale de décisions, hors la présence physique des copropriétaires, empêchée par les règles actuelles de distanciation et de confinement (décret du 23 mars 2020).
- Première possibilité : celle visée par l’article 4 de l’ordonnance, est ouverte « lorsqu’une assemblée est convoquée en un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires”
Dans ce cas le syndic peut décider que l’assemblée générale peut se tenir sans que les membres et les autres personnes ayant le droit d’y assister ne soient présents physiquement ni par conférence téléphonique ou audiovisuelle.
Autrement dit, il s’agit pour le syndic de tenir une assemblée générale à huis clos. Dans ce cas les membres participent ou votent à l’assemblée selon les autres modalités prévues par les textes qui la régissent tels qu’aménagés et complétés le cas échéant par la présente ordonnance.
La difficulté, s’agissant d’une assemblée générale de copropriétaires, est que, pour l’heure, les textes ne prévoient pas, d’autres “modalités” de vote telles que celles que l’on peut connaître dans d’autres groupements comme les sociétés (la consultation écrite, consentement donné dans un acte, vote par correspondance). En effet, le vote par correspondance n’est pas effectif et il semble difficile de considérer que l’ordonnance le rendrait efficient. Aussi, cette première possibilité de l’assemblée à huis clos ne paraît pas ouverte au syndic de copropriété tant que la possibilité de voter par correspondance n’est pas effective.
En revanche, dès qu’elle le sera (et ce sera en principe le cas à compter du 1er juin si l’arrêté a été publié), cette possibilité offerte par l’article 4, et sous réserve que ses conditions d’application soient réunies, sera ouverte au syndic.
- Deuxième possibilité : celle prévue par l’article 6 de l’ordonnance. Elle vise, dans les cas où la loi la prévoit, à faciliter le recours à la consultation écrite.
Cette possibilité ne concerne en principe pas les assemblées générales de copropriété.
Remarque à propos des petites copropriétés
Néanmoins, il faut noter qu’à compter du 1er juin 2020, dans les « petites copropriété », l’article 41-12 de la loi de 1965 prévoit la possibilité de consulter par écrit les copropriétaires. Dans ce cadre, le syndic pourrait recourir à l’article 6. Dans cette hypothèse, la consultation peut porter sur toute décision sur laquelle l’assemblée est appelée à statuer (v. infra II sur la convocation des AG en période de confinement)
- Troisième possibilité : celle visée par l’article 5 de l’ordonnance qui peut d’ailleurs être naturellement combiné avec la première possibilité visée à l’article 4 précité. Il s’agit de faciliter le recours à la conférence téléphonique ou audiovisuelle en la généralisation et en la favorisant.
En effet, l’assemblée générale peut se tenir par voie de conférence téléphonique ou audiovisuelle dès lors que ces moyens mis en œuvre permettent l’identification des copropriétaires et sans autre conditions particulières dès lors que l’ordonnance vise à suspendre toute condition restrictive conduisant à empêcher le recours de ces procédés de communication.
Concrètement, sont suspendues jusqu’au 31 juillet 2020 les dispositions de la loi du 10 juillet 1965 (article 17 1 A) et du décret du 17 mars 1967 (article 13-1) qui exigent que ces procédés ne puissent être mis en œuvre que si préalablement l’assemblée générale a décidé “des moyens et supports techniques permettant aux copropriétaires de participer aux assemblées générales par visioconférence, par audioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique ainsi que des garanties permettant de s’assurer de l’identité de chaque participant”. De même, il n’est pas nécessaire que le syndic ait préalablement pris l’initiative de faire élaborer des devis.
La décision de recourir à l’article 5 de l’ordonnance pour la tenue de l’assemblée générale relève de la compétence du syndic qui est l’organe chargé de la convocation. Un décret apportera possiblement des précisions sur les conditions techniques, toutefois d’ores et déjà exprimées par l’article 5 : “Les moyens techniques mis en œuvre transmettent au moins la voix des participants et satisfont à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations”.
Cette solution paraît applicable à la tenue d’une assemblée générale de copropriété “dématérialisée”, ce qui n’exclut pas que les règles habituelles de tenue de l’assemblée générale soit par ailleurs maintenue (feuille de présence, président de séance, etc…). Encore faut-il dans notre cas qu’elle ait été préalablement et régulièrement convoquée, l’article 7 I de l’ordonnance prévoyant les modalités de la bascule[2] d’une assemblée générale classique tenue dans les termes de la loi du 10 juillet 1965 et du décret de 1967 et tenue dans les termes de l’article 5 de l’ordonnance.
En effet, selon cet article, lorsque le syndic décide de faire application des dispositions de l’article 5 de l’ordonnance et que tout ou partie des formalités de convocation de l’assemblée ont été accomplies préalablement à la date de cette décision, les membres de l’assemblée en sont informés par tous moyens permettant d’assurer leur information effective trois jours ouvrés au moins avant la date de l’assemblée. Dans ce cas, la modification du lieu de l’assemblée ou des modes de participation ne donne pas lieu au renouvellement des formalités de convocation et ne constitue pas une irrégularité de convocation.
En conséquence, il est sans doute possible de basculer vers une assemblée générale tenue dans les termes de l’article 5, étant entendu que le délai de 21 jours a bien couru (v. la préconisation n° 8) et que le syndic pourra rapporter la preuve que les copropriétaires qui ont participé à l’assemblée, ont bien été identifiés.
Préconisation du GRECCO n° 9 du 18 avril 2020 concernant la tenue à distance des assemblées générales en période d’épidémie du virus COVID-19.
(pour toute explication, voir l’exposé des motifs)
Au-delà de la possibilité offerte par les articles 17-1 A de la loi du 10 juillet 1965 et 13-1 du décret du 17 mars 1967 (rédac. Décret n° 2019-650 du 27 juin 2019), l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 semble applicable aux assemblées générales de copropriété même si elle n’est pas parfaitement adaptée aux problématiques de la copropriété :
- La tenue d’une assemblée générale par le syndic dans les termes de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-321 (assemblée « en visio et/ou audio ») semble envisageable si elle se tient avant le 31 juillet 2020. Le principal obstacle semble être toutefois constitué par le fait que les copropriétaires doivent avoir été effectivement informés de la décision du syndic d’y recourir, en vertu de l’article 7 de l’ordonnance. Si cette information peut parvenir par tous moyens aux copropriétaires, elle doit être effective (retour de mail par exemple).
- La tenue d’une assemblée générale par le syndic dans les termes de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-321 (assemblée à « huis clos ») sera, quant à elle, envisageable à compter du 1er juin 2020 sous réserve de la publication préalable de l’arrêté relatif au formulaire de vote par correspondance.
En conséquence, et pour faciliter la tenue des assemblées générales à distance, le GRECCO préconise le texte dérogatoire suivant qui, tout en sauvegardant les intérêts des copropriétaires, permet de tenir des assemblées générales à distance :
« Par dérogation à l’article 13-1 du décret du 17 mars 1967, le syndic peut décider de permettre aux copropriétaires de participer à l’assemblée générale par visioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique permettant leur identification ou celles de leur représentant et une transmission continue et simultanée de l’assemblée générale.
Le syndic en informe les copropriétaires dans la convocation ou au moins 8 jours avant la date de l’assemblée générale par tous moyens permettant d’assurer leur information effective.
Le présent texte est applicable aux assemblées générales tenues jusqu’au 31 juillet 2020 ».
Les objectifs de ce texte qui ne concerne que les assemblées tenues jusqu’au 31 juillet 2020 sont les suivants :
– Permettre au syndic de décider seul que les copropriétaires auront la possibilité de participer à l’assemblée générale par visioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique…
– Permettre les assemblées mixtes (en présentiel pour certains copropriétaires, à distance pour d’autres)
– Pallier les incertitudes liées à la période de déconfinement. Si l’assemblée générale, prévue en présentiel ne peut se tenir à raison des règles de distanciation et de confinement, le syndic a la possibilité de choisir de tenir l’assemblée générale à distance en informant les copropriétaires 8 jours avant l’assemblée générale.
[1] Le groupe de travail est composé de : Matthieu Poumarède, professeur agrégé, directeur de l’IEJUC ; Denis Brachet, géomètre-expert ; Véronique Bacot-Réaume, expert judiciaire ; Patrick Baudoin, avocat ; Christelle Coutant-Lapalus, maître de conférences ; Eliane Frémeaux, notaire honoraire ; Laurence Guégan-Gélinet, avocat ; Florence Bayard-Jammes, enseignant-chercheur ; Jacques Laporte, conseil ; Agnès Lebatteux, avocat ; Stéphane Lelièvre, notaire ; Agnès Medioni, syndic de copropriété, expert ; Bernard Pérouzel, expert ; Olivier Safar, syndic de copropriété.
[2] Article 7 I : « Lorsque l’organe mentionné à l’article 4 ou son délégataire décide de faire application des dispositions des articles 4, 5 ou 6 et que tout ou partie des formalités de convocation de l’assemblée ont été accomplies préalablement à la date de cette décision, les membres de l’assemblée en sont informés par tous moyens permettant d’assurer leur information effective trois jours ouvrés au moins avant la date de l’assemblée, sans préjudice des formalités qui restent à accomplir à la date de cette décision. Dans ce cas, la modification du lieu de l’assemblée ou des modes de participation ne donne pas lieu au renouvellement des formalités de convocation et ne constitue pas une irrégularité de convocation. »