Publié le 5 avril 2024 sous la présidence de Matthieu Poumarède
Le groupe de recherche sur la copropriété (GRECCO)[1], réunissant des praticiens et des universitaires, a pour objectif de développer une réflexion pérenne sur l’application et l’évolution du droit de la copropriété. Après débats, le GRECCO rédige des propositions destinées à faciliter l’interprétation des textes du droit de la copropriété, à suggérer des pratiques professionnelles et à susciter des modifications législatives et réglementaires. Ces propositions sont largement diffusées dans les revues juridiques et professionnelles afin qu’elles puissent être connues et discutées.
Il y a cession de parties communes lorsque la propriété d’une « partie commune » est transférée par les propriétaires indivis de cette partie de l’immeuble à un copropriétaire ou à un tiers. Les parties communes sont générales ou spéciales.
En application de l’article 6-2 de la loi du 10 juillet 1965 dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, « les parties communes spéciales sont celles affectées à l’usage ou à l’utilité de plusieurs copropriétaires. Elles sont la propriété indivise de ces derniers ».
Préalablement à la cession d’une partie commune bâtie[2],il convient de s’assurer que, dans le règlement de copropriété, la fraction d’immeuble dont il est envisagé la cession constitue une partie commune générale ou spéciale[3].
La cession de parties communes spéciales bâties suppose de répondre à plusieurs questions qui suscitent des pratiques divergentes :
- Qui décide de la cession ? (1)
- Que cède-t-on ? (2)
- Quelles sont les modalités de la cession ? (3)
- Quelles sont les conséquences de la cession ? (4)
1. La décision de céder les parties communes spéciales
La vente résultant d’un accord sur la chose et sur le prix, il convient d’abord de s’assurer de l’existence et de la validité du consentement du cédant et du cessionnaire.
1.1 Le cédant
Aux termes de l’article 16 de la loi du 10 juillet 1965, l’acte d’aliénation des parties communes est valablement passé par le syndicat des copropriétaires et de son chef.
Celui-ci cède les parties communes, mais la décision doit être prise par les seuls copropriétaires ayant des droits indivis dans les parties communes spéciales réunis en assemblée. En effet, au visa des articles 3 et 4 de la loi du 10 juillet 1965, la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre civile 3, 1er juin 2022 — n° 21-16.232 et 6 avril 2023 – n° 22-10.722) a énoncé que « seuls les propriétaires des parties communes spéciales peuvent décider de l’aliénation de celles-ci ».
L’alinéa 3 de l’article 6-2 de la loi du 10 juillet 1965 précise que cette décision peut être prise « soit au cours d’une assemblée spéciale, soit au cours de l’assemblée générale de tous les copropriétaires. Seuls prennent part au vote les copropriétaires à l’usage ou à l’utilité desquels sont affectées ces parties communes. »
Cette décision relève des conditions de majorité énoncées par les articles 26 et 26-1 de la loi du 10 juillet 1965 :
Article 26 : « Sont prises à la majorité des membres du syndicat représentant au moins les deux tiers des voix les décisions concernant :
a) Les actes d’acquisition immobilière et les actes de disposition autres que ceux visés à l’article 25 d (…) »
Article 26-1 : « Nonobstant toute disposition contraire, lorsque l’assemblée générale n’a pas décidé à la majorité prévue au premier alinéa de l’article 26, mais que le projet a au moins recueilli l’approbation de la moitié des membres du syndicat des copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance, représentant au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires, la même assemblée se prononce à la majorité des voix de tous les copropriétaires en procédant immédiatement à un second vote. »
- Le cessionnaire
Le cessionnaire doit manifester sa volonté d’acquérir. Selon les circonstances, cette volonté peut se manifester soit en amont de l’assemblée, par la formalisation d’une offre d’achat ; soit pendant ou après l’assemblée par une acceptation de l’offre de vente formulée par la décision d’assemblée[4].
En l’absence de toute disposition légale ou réglementaire contraire, lorsque le candidat à l’acquisition est propriétaire indivis des parties communes spéciales, il participe à la décision de cession.
2. L’objet de la cession de partie commune
Pour que la vente soit parfaite, il faut que l’objet de la vente soit déterminé ou déterminable. Dès lors, se pose la question de savoir si la partie commune doit être constituée en lot, comportant non seulement la désignation de la partie privative, mais également la quote-part de parties communes, préalablement à la décision de cession.
Selon la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre civile 3, 22 septembre 2010, n° 09-68.967, Bull. 2010, III, n° 172), la constitution préalable d’un lot n’est pas une condition de validité de la vente, dès lors que la partie commune à céder est suffisamment définie par la résolution décidant de la cession (plan, description suffisante…).
La vente est parfaite dès la décision de cession ; la modification du règlement de copropriété et la détermination de la quote-part de parties communes, par la création d’un lot, peuvent intervenir postérieurement à cette décision.
En conséquence, les copropriétaires détenant des droits indivis dans la partie commune à céder doivent statuer sur la cession, sans avoir à statuer préalablement sur la création d’un lot. Toutefois, la décision de création du lot sera nécessaire pour rendre cette cession opposable aux tiers.
3. L’opposabilité aux tiers de la cession d’une partie commune
La cession de partie commune n’est opposable aux tiers que si elle est publiée au service de publicité foncière. Elle doit être à cet effet formalisée par un acte authentique (C. civ., art. 710-1). Les caractéristiques du lot de publicité foncière sont les suivantes :
- article 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 : « lorsque, sans réaliser ou constater une division de la propriété du sol entraînant changement de limite, il ne concerne qu’une ou plusieurs fractions d’un immeuble, l’acte ou la décision judiciaire doit comporter à la fois la désignation desdites fractions et celle de l’ensemble de l’immeuble. La désignation de la fraction est faite conformément à un état descriptif de division, ou, éventuellement, à un état modificatif, établi dans les conditions fixées par décret, et préalablement publié ; elle doit mentionner le numéro du lot dans lequel la fraction est comprise, et, sous réserve des exceptions prévues audit décret, la quote-part dans la propriété du sol afférente à ce lot » ;
- article 76 du décret° 55-1350 du 14 octobre 1955 : « lorsque le document déposé concerne une fraction d’immeuble, la désignation susvisée doit en outre être complétée par l’indication du numéro de lot et, sous réserve des dispositions du cinquième alinéa de l’article 71-9, de la quote-part de parties communes, lorsqu’elle existe ou est déterminée. ».
Il convient de préciser que, s’agissant de la création d’un lot de copropriété, en application de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965, celui-ci « comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables ».
Pour les besoins de la publicité foncière, il est donc nécessaire, préalablement à la signature de l’acte authentique, de créer un lot à partir des parties communes spéciales cédées. Ce lot sera nécessairement doté d’une quote-part de parties communes générales.
La question se pose alors de savoir qui a compétence pour créer le lot et modifier l’état descriptif de division.
L’article 71-10 du décret du 14 octobre 1955 prévoit que : « Sous réserve des dispositions de l’article 50-1 du décret du 4 janvier 1955, l’état descriptif de division est établi par tous les propriétaires ou copropriétaires de l’immeuble et l’acte modificatif est établi par les seuls propriétaires ou copropriétaires des fractions intéressées par la modification ».
Il convient de déterminer qui sont « les copropriétaires intéressés » par cette modification.
S’agissant d’une vente impliquant le syndicat des copropriétaires, l’acquéreur ne peut être considéré comme ayant le pouvoir de modifier unilatéralement l’état descriptif de division pour créer le lot. Il faut donc une décision en assemblée des copropriétaires pour créer le lot aux fins de publicité foncière. Deux méthodes sont envisageables :
- Une méthode par « retranchement » qui consiste à retirer une quote-part de parties communes sur les lots existants pour les affecter au lot créé (changement du numérateur) ;
- Une méthode par « adjonction » qui consiste à augmenter la somme des tantièmes de propriété (changement du dénominateur)
3.1 La méthode par retranchement
Selon cette méthode, la quote-part de parties communes générales est retranchée des seuls lots appartenant aux propriétaires indivis de la partie commune spéciale cédée (circulaire du 1er août 1979, BOI n° 140 du 2.08.1979). En revanche, les quotes-parts de parties communes générales des propriétaires qui ne détiennent pas de droits dans la partie commune spéciale cédée demeurent inchangées.
En ce cas, l’assemblée spéciale peut approuver l’état descriptif de division modificatif, puisque seuls les copropriétaires ayant des droits dans la partie commune spéciale cédée voient leurs droits modifiés.
Cependant, un vote de l’assemblée générale de tous les copropriétaires demeurera nécessaire pour modifier le règlement de copropriété (en particulier la répartition des charges).
3.2 La méthode par adjonction
Selon cette méthode, les droits indivis de tous les copropriétaires dans les parties communes générales sont nécessairement impactés. Par conséquent, la modification de l’état descriptif de division requiert le vote de l’assemblée générale de tous les copropriétaires.
En revanche, dans la mesure où la constitution préalable d’un lot n’est pas une condition de la cession, l’assemblée générale de tous les copropriétaires ne peut valablement refuser la modification de l’état descriptif de division.
Si tel était le cas :
- le syndicat des copropriétaires serait susceptible de voir sa responsabilité engagée par l’acquéreur, la vente étant parfaite, mais ne pouvant être publiée ;
- une action en exécution forcée de la cession pourrait être engagée contre le syndicat des copropriétaires.
L’approbation de l’état descriptif de division modificatif ne relève pas de la majorité de l’article 24 de la loi du 10 juillet 1965 (Cour de cassation, Chambre civile 3, 29 octobre 2003, n° 02-13.089), mais relève d’une décision prise « à la même majorité » que celle requise pour la décision de cession, c’est-à-dire aux conditions de majorités de l’article 26 et 26-1 (CA Paris, 23e ch., sect. B., 2 juill. 2009 RG n°07/21753 – CA Paris, 23e ch., sect. A, 24 sept. 1997).
Le risque est donc que la décision d’approbation de l’état descriptif de division soit bloquée, faute d’un nombre suffisant de propriétaires présents ou représentés, ou ayant voté par correspondance.
4. Les conséquences de la cession d’une partie commune spéciale
4.1 La répartition du prix
En application de l’article 16-1 : « Les sommes représentant le prix des parties communes cédées se divisent de plein droit entre les copropriétaires dans les lots desquels figuraient ces parties communes et proportionnellement à la quotité de ces parties afférentes à chaque lot. La part du prix revenant à chaque copropriétaire lui est remise directement par le syndic, après déduction des sommes exigibles par le syndicat des copropriétaires. »
Le prix se répartit entre les seuls copropriétaires ayant des droits indivis dans la partie commune spéciale cédée.
4.2. La modification des charges et du règlement de copropriété
Il convient de faire voter tous les copropriétaires sur la modification de la répartition des charges contenue dans le règlement de copropriété.
En application de l’article 11 de la loi du 10 juillet 1965 qui prévoit que, « sous réserve des dispositions de l’article 12 ci-dessous, la répartition des charges ne peut être modifiée qu’à l’unanimité des copropriétaires. Toutefois, lorsque des travaux ou des actes d’acquisition ou de disposition sont décidés par l’assemblée générale statuant à la majorité exigée par la loi, la modification de la répartition des charges ainsi rendue nécessaire peut être décidée par l’assemblée générale statuant à la même majorité », la modification de la répartition des charges sera votée aux conditions de majorité des articles 26 et 26-1 de la loi du 10 juillet 1965.
Par ailleurs, il convient, le cas échéant, de supprimer dans le règlement de copropriété, la mention de la partie commune spéciale « vendue » lorsque celle-ci y est formellement identifiée (loge de gardien, local chaufferie…).
La difficulté est la même que celle soulignée précédemment : le risque d’un refus par l’assemblée générale de tous les copropriétaires ou d’un blocage en raison d’une participation insuffisante. Cependant, cette difficulté est partiellement traitée par l’article 11, alinéa 3, de la loi du 10 juillet 1965 qui dispose : « À défaut de décision de l’assemblée générale modifiant les bases de répartition des charges dans les cas prévus aux alinéas précédents, tout copropriétaire pourra saisir le tribunal judiciaire de la situation de l’immeuble à l’effet de faire procéder à la nouvelle répartition rendue nécessaire ». Un recours judiciaire est donc possible.
Conclusion
En conclusion, en l’état actuel du droit :
- Seuls les copropriétaires ayant des droits indivis dans une partie commune spéciale peuvent décider de l’aliénation de celle-ci. La vente est parfaite dès lors que la partie d’immeuble à céder est suffisamment déterminée, et que l’accord des parties est intervenu, indépendamment de la création d’un lot.
- Pour autant, il demeure nécessaire de faire valider par une assemblée la modification apportée à l’état descriptif de division du fait de la création d’un lot. Lorsque la méthode par adjonction est utilisée, la décision doit être soumise à l’assemblée générale de tous les copropriétaires. Lorsque la méthode par retrait est utilisée, seuls les copropriétaires ayant des droits indivis dans la partie commune spéciale se prononcent.
- La modification des charges et du règlement de copropriété consécutive à la cession relève d’une décision de l’assemblée générale de tous les copropriétaires. Faute d’adoption, tout copropriétaire peut saisir le juge pour faire fixer une nouvelle répartition des charges.
Proposition de modification législative :
Considérant ces difficultés pratiques, le GRECCO suggère de compléter l’article 6-2 de la loi du 10 juillet 1965, afin de tirer les conséquences de la consécration des parties communes spéciales :
« Les décisions afférentes aux seules parties communes spéciales peuvent être prises soit au cours d’une assemblée spéciale, soit au cours de l’assemblée générale de tous les copropriétaires. Seuls prennent part au vote les copropriétaires à l’usage ou à l’utilité desquels sont affectées ces parties communes.
La décision de cession d’une partie commune spéciale et la modification corrélative de l’état descriptif de division relèvent des seuls copropriétaires ayant des droits indivis dans les parties communes spéciales.
La modification des charges consécutive à la cession d’une partie commune spéciale est soumise à l’approbation de l’assemblée générale de tous les copropriétaires statuant à la majorité prévue à l’article 24. À défaut de décision de l’assemblée générale modifiant les bases de répartition des charges, tout copropriétaire pourra saisir le tribunal judiciaire de la situation de l’immeuble à l’effet de faire procéder à la nouvelle répartition rendue nécessaire ».
[1] Le groupe de travail est composé de : Matthieu Poumarède, professeur des universités ; Denis Brachet, géomètre-expert ; Véronique Bacot-Réaume, expert judiciaire ; Patrick Baudouin, avocat ; Alexis de Coster, responsable métiers administration de biens ; Christelle Coutant-Lapalus, professeure des universités ; Éliane Frémeaux, notaire honoraire ; Laurence Guégan-Gélinet, avocat ; Florence Bayard-Jammes, enseignant-chercheur ; Agnès Lebatteux, avocat ; Stéphane Lelièvre, notaire ; Bernard Pérouzel, expert ; Olivier Safar, syndic de copropriété.
Les préconisations sont accessibles sont le site de la CNEC (https://www.la-cnec.org/le-grecco )
[2] Cette préconisation ne concerne pas les droits à construire.
[3] Sur la distinction entre partie commune spéciale et partie commune à jouissance privative, cf. préconisations n°12 et 13.
[4] S’il vote contre la décision de cession et/ou ses conditions, il n’y a pas d’accord sur la chose et sur le prix. Il n’est donc pas nécessaire qu’il conteste la décision d’assemblée générale (CA Paris, Pôle 4, ch. 2, 28 mars 2012, n° 09/28113).